Vous
trouverez ci-dessous quelques réflexions sur
la poésie.
Du livre de Rainer-Maria Rilke,
Lettres à un jeune
poète, Les Cahiers Rouges Grasset, Paris,
1937, 120 p., j'aimerais partager les réflexions
suivantes :
Vous
me demandez si vos vers sont bons. Vous me le demandez
à moi. Vous l'avez déjà demandé
à d'autres. Vous les envoyez aux revues. Vous
les comparez à d'autres poèmes et vous
vous alarmez quand certaines rédactions écartent
vos essais poétiques. Désormais (puisque
vous m'avez permis de vous conseiller), je vous prie
de renoncer à tout cela. Votre regard est tourné
vers le dehors; c'est cela surtout que maintenant
vous ne devez plus faire. Personne ne peut vous apporter
conseil ou aide, personne. Il n'est qu'un seul chemin.
Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui
vous fait écrire : examinez s'il pousse ses
racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous
à vous-même : mourriez-vous s'il vous
était défendu d'écrire ? Ceci
surtout : demandez-vous à l'heure la plus silencieuse
de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint
d'écrire ? » Creusez en vous-même
vers la plus profonde réponse. Si cette réponse
est affirmative, si vous pouvez faire front à
une aussi grave question par un fort et simple «
Je dois », alors construisez votre vie selon
cette nécessité.
Rilke, p. 22-23
Approchez
de la nature. Essayez de dire, comme si vous étiez
le premier homme ce que vous voyez, ce que vous vivez,
aimez, perdez. N'écrivez pas de poèmes
d'amour. Évitez d'abord ces thèmes trop
courants : ce sont les plus difficiles. (...) Fuyez
les grands sujets pour ceux que votre quotidien vous
offre. Dites vos tristesses et vos désirs,
les pensées qui vous viennent, votre foi en
une beauté. Dites tout cela avec une sincérité
intime, tranquille et humble. Utilisez pour vous exprimer
les choses qui vous entourent, les images de vos songes,
les objets de vos souvenirs. Si votre quotidien vous
paraît pauvre, ne l'accusez pas. Accusez-vous
vous-même de ne pas être assez poète
pour appeler à vous ses richesses. Pour le
créateur rien n'est pauvre, il n'est pas de
lieux pauvres, indifférents.
Rilke, p. 23-24
Être
artiste, c'est ne pas compter, c'est croître
comme l'arbre qui ne presse pas sa sève, qui
résiste, confiant aux grands vents du printemps,
sans craindre que l'été puisse ne pas
venir.
Rilke, p. 36
Vous
dites que vos proches vous sont lointains; c'est qu'il
se fait un espace autour de vous. Si tout ce qui est
proche vous semble loin, c'est que cet espace touche
les étoiles, qu'il est déjà très
étendu. Réjouissez-vous de votre marche
en avant; personne ne peut vous y suivre. Soyez bon
envers ceux qui restent en arrière, sûr
de vous et tranquille en face d'eux. Ne les tourmentez
pas avec vos doutes. Ne les effrayez pas avec votre
foi, par votre enthousiasme : ils ne pourraient comprendre.
Cherchez à communier avec eux dans le simple
et dans le fidèle : cette communion ne doit
pas nécessairement subir les mêmes transformations
que vous. Aimez en eux la vie sous une forme étrangère.
Ayez de l'indulgence pour ceux à qui l'âge
fait redouter cette solitude à laquelle vous
vous abandonnez. Évitez de nourrir le drame
toujours pendant entre parents et enfants; il use
tant la force des enfants, et il épuise cet
amour des vieux qui n'a pas besoin de comprendre pour
agir et pour réchauffer. Ne leur demandez pas
conseil. Renoncez à être compris d'eux.
Rilke, p. 48-49
Une
seule chose est nécessaire : la solitude. La
grande solitude intérieure. Aller en soi-même,
et ne rencontrer durant des heures personne, c'est
à cela qu'il faut parvenir.
Rilke, p. 56
Il
est bon d'être seul parce que la solitude est
difficile. Qu'une chose soit difficile doit nous être
une raison de plus de nous y tenir. Il est bon aussi
d'aimer; car l'amour est difficile. L'amour d'un être
humain pour un autre, c'est peut-être l'épreuve
la plus difficile pour chacun de nous, c'est le plus
haut témoignage de nous-même; l'œuvre
suprême dont toutes les autres ne sont les préparations.
C'est pour cela que les êtres jeunes, neufs
en toutes choses, ne savent pas encore aimer; ils
doivent apprendre.
Rilke, p. 65
Créer,
c'est d'abord se créer.
Rilke, p. 96
Et puis, voici d'autres réflexions,
puisées ci et là, au gré de mes
lectures ou durant mes cours et ateliers de création
littéraire :
Je
ne peux écrire que lorsque je suis ému.
Albert Camus
Écrire
consiste à rendre conscient quelque chose qui
existait déjà sous un mode inconscient
et inconnu.
Jean-Noël Pontbriand
L'écriture
poétique, c'est une marche vers soi.
Sylvain Bruneau
Encore
plus que du talent, de l'intelligence, même
du génie, l'excellence naît de l'effort.
Le quotidien La
Presse de Montréal
Le
talent, ça n'existe pas. C'est 5 % d'inspiration
et 95 % de transpiration.
Jacques Brel
Je
suis un écrivain du bonheur, mais on écrit
par chagrin car il faut un chagrin pour faire un écrivain.
Jean d'Ormesson
Écoutons aussi Jean-Louis
Trintignant, qui est venu "dire" Apollinaire
à Montréal du 28 mars au 1er
avril 2006 dans le cadre du Festival international de
la littérature :
L'an
dernier, dans la Cour d'honneur du Festival d'Avignon,
Jean-Louis Trintignant a dit Apollinaire devant 2000
personnes. « J'avais peur que ce soit trop
statique, dénudé. Mais ça a été
un triomphe jamais vu : 2000 personnes, debout,
pendant vingt minutes ! Depuis Avignon, je suis changé.
J'ai toujours pensé que la poésie ne
pouvait pas être lue dans de grandes salles
: je me trompais. »
Ce
n'est pas pour rien, selon lui, qu'on assiste depuis
quelques années à un engouement du public
pour les textes littéraires, lus dans le dépouillement,
par des acteurs au service des mots. « On vit
dans un monde où il y a beaucoup de paillettes.
Trop de choses font du bruit. Le public a envie de
retourner aux choses simples. C'est un retour aux
sources, car le théâtre, c'est avant
tout le texte, le verbe. »
In La
Place des Arts, le magazine, mars-avril 2006,
vol. 17 no 4, p. 8
et 9
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