Vous trouverez ci-dessous quelques
réflexions tirées d'un livre sur l'érotisme
que j'aimerais partager avec vous. Il s'agit de l'essai
de Marc Chabot, philosophe et parolier, Des
corps et du papier, publié en octobre
2005 dans la collection L'Écritoire des Éditions
Leméac (155 p.).


|
Ce dont nous souffrons
le plus, ce n'est pas un manque d'images mais
un manque de mots. Notre langue nous fait défaut.
C'est pourquoi la littérature est érotique.
(p.12)
L'érotisme est
du côté de l'art. Peut-être
pas du côté de la sexualité.
(p.14)
Une image ne vaut pas
mille mots. (p.24)
Nos sociétés
doivent beaucoup aux libertins. Sans être
des hommes politiques, ils furent les fondateurs
du monde moderne. Sans être des scientifiques,
ils furent des défendeurs de la raison.
Sans être des sexologues, ils furent les
premiers revendicateurs des plaisirs du corps.
Sans être absolument des athées,
ils cherchaient en dehors de Dieu ou loin de lui
le bonheur et la réalisation de soi. (p.25)
Le libertin n'est pas
un libre-jouisseur, mais un libre-penseur. Il
n'est pas l'être pressé qui doit
tout consommer sans distinction. (p.26)
Mais réduire les
écrits libertins à une pure manifestation
d'égoïsme, c'est ne rien comprendre
au monde des libertins. Le bonheur n'est pas s'il
n'est que pour moi. Le libertin cherche une société
faite de complices. Hommes et femmes. Il est rare
qu'un libertin réduise toute sa philosophie
de la vie à la sexualité, aux simples
plaisirs charnels. Il est rare qu'il en reste
là parce qu'il connaît les limites
du corps, parce qu'il sait qu'on ne peut absolument
pas y réduire l'être. (p.26 et 27)
|
On s'est contenté d'en
(les libertins) faire des jouisseurs, des individualistes,
des égoïstes, bref des profiteurs, des êtres
perfides dénués de sens moral. (p.28)
Le libertin est un écrivain
du bonheur. Il veut le bonheur, il pense le bonheur,
il l'espère et l'appelle. Il est aussi l'écrivain
de l'amour, de la chair, du corps libre, des plaisirs
multiples. (p.31)
Le pouvoir parle de la sexualité,
le libertin nous parle de l'érotisme. (p.31)
Taire le plaisir à la
jeune fille et au jeune homme, c'est les empêcher
d'accéder au bonheur. (p.33)
C'est toujours avec un autre
que le bonheur peut être. Le libertin veut partager,
il part à la rencontre de l'autre. (p.34)
Ce que les libertins chantent,
c'est l'amour d'être libre et les difficultés
pour chacun de nous de maintenir en vie cet amour de
la liberté. Il nous faut aimer la liberté,
c'est la plus jolie des maîtresses. Aimer la liberté,
aimer les autres dans leur liberté. Faire du
bonheur l'obsession d'une vie. (p.36)
Aux yeux du monde, les amoureux
sont toujours suspects. Avoir une passion demeure un
danger. (p.37)
L'érotisme passe par
la capacité de l'être à vivre dans
sa tête le corps de l'autre. (p.40)
Le texte érotique est
un chant. Une voix harmonieuse qui permet aux êtres
de s'élever. Les texte érotique peut être
une transcendance. Œuvre. Souvenir des corps qui
chantaient. (p.44)
Plus jamais le sexe comme fin.
Le sexe seul provoque la mort de l'érotisme.
C'est là que la mort se tient, dans le sexe comme
finalité. L'érotisme peut mener partout
ailleurs. (p.50)
Il faut avoir le courage de
sa propre tendresse. (p.69)
L'âme de la jouissance
est dans la personne. Le corps vient avec une âme,
sinon il n'est qu'objet. (p.77)
Et si la pornographie prolifère,
c'est parce qu'elle est devenu le seul moyen qui reste
au pouvoir pour banaliser l'être particulier,
pour lui retirer sa jouissance, pour le désapproprier
de sa personne encore une fois. La pornographie prolifère
parce qu'elle est ajustée aux lois de la néantisation
de l'être. Elle ne libère pas le plaisir,
le désir et le corps, elle l'enferme dans le
même, elle camoufle la liberté en se prétendant
la liberté. (p.83)
Les images ne seront toujours
que l'érotisme du paresseux. (p.86)
Le discours érotique
n'existe que pour en finir avec la solitude de l'être.
Un être de chair qui dit à un autre être
de chair : Je te reçois, toi et ta jouissance.
Je te reçois et j'entends ta solitude. (p.99)
L'érotisme, c'est l'autre
qui vient à moi dans sa liberté, qui me
l'offre comme un cadeau du ciel, qui s'offre en cadeau.
Un moment fragile de l'histoire de l'être. (p.100)
Dans une société
où la sexualité est banalisée et
l'objet de discours multiples et marchands, la littérature
érotique perd de son sens. (p.114)
Une sexualité de la
performance remplace désormais la sexualité
comme acte de libération. (p.114)
Viendra-t-il un temps où
nous comprendrons que la beauté des corps n'est
qu'un brouillon de la beauté des âmes ?
La littérature érotique doit forcer les
portes de la littérature. Elle doit pénétrer
dans tous les romans. L'érotisme doit prendre
sa place parmi les autres livres, le dernier effort
de la littérature érotique est d'entrer
en littérature. (p.117)
La littérature doit
se battre contre la banalisation de la sexualité,
contre l'indifférence devant le plaisir, contre
la vision réductrice de la sexualité,
contre la perte de l'âme et la disparition de
l'être. (p.119)
Que la littérature érotique
soit d'abord de la littérature. Du rêve.
Des mots qui nous font rencontrer la poésie.
Que la littérature érotique soit aussi
une écriture, ce souci de dire le corps de l'autre
et le sien et le nous qu'ils seront. (p.126)
Un texte m'atteint au corps,
mais je veux aussi voir les lumières de l'âme.
(p.126)
(Le corps) C'est le chemin
vers l'âme de l'autre. (p.153)
|